Y a pas d'heure pour être malheureux

Je suis de celles dont les notifications ne sont que des codes promos pour deux pizzas achetées chez Domino’s.

La Tribu(r)ne
4 min ⋅ 14/12/2023

Vous appelez ça le blues du dimanche soir, quand moi, je dis juste qu’il n’y a pas d’heure pour être malheureux. Je ne ressens pas le désespoir du dimanche soir. Je n’ai pas d’horaires de travail réguliers, aussi la tristesse rentre à sa guise, sans rendez-vous et sans frapper. 


Et pour ça, elle frappe bien. Le poing américain que ses phalanges aiguisent, l’air de rien. L’air de rien dans mon être de rien que l’air emprisonne comme si je m’étouffais avec du vide que le chagrin empoisonne.


Le vide est fulgurant, vertigineux, comme si je mesurais la taille d’une montagne emplie de larmes dont je retiens difficilement la chute. Le Niagara en lutte et qui chahute à l’intérieur de moi. Plus ça va, plus ça me bute.


Ça vient quelquefois le matin ou dans l’après-midi, mais surtout tard dans la nuit. N’importe laquelle, n’importe lesquelles pourvues d’ennui, de solitude, de doutes où mon dos et mes pensées se voûtent, prostrés dans un instinct de survie que la paix dégoûte.


J’embrasse ma solitude la plupart du temps, je l’aime, je la chéris, je l’apprivoise, ma beauté, ma régulière. Et pourtant, parfois, elle me laisse les dents en miettes, un goût amer, le cœur en peau de misère jeté aux loups comme une pièce de monnaie dans un vieux gobelet, un mégot écrasé par terre, un chien errant qui voit plus le bout. 

Ces jours-là, ces nuits-là, la solitude me pèse comme un boulet qui m’entraîne aux tréfonds de moi-même en prenant toutes ses aises. Elle s’étend et paralysée, je n’ai plus la force de me débattre. Je sais qu’elle va passer, que ça va passer, mais en attendant, il faut que ça passe


Alors, j’accueille ma partenaire, la solitude au visage de tristesse profonde au fin fond de ma carcasse. Son sarcasme m’agace, ma faiblesse soudaine aussi. Et dans tout ce questionnement, je comprends ce qui me tracasse, ce qui me harasse par moments et s’incruste dans ma chair comme de la crasse que désespérément je cherche à chasser et à nettoyer à l’aide de salves aux allures de torrents.


Oui, tout à coup, factuellement, je comprends. Ma colère, mon chagrin, ma dualité dans cette solitude éphémère, éternelle, choisie, vomie, aimée, rejetée.


Je suis de celles que l’on ne regarde pas avec passion, je suis de celles que l’on n’attend pas le soir à la maison, je suis de celles dont on ne tombe pas amoureux, je suis de celles qui ne donnent pas envie d’y croire, même juste un petit peu.

Je suis de celles que l’on admire, mais pas assez pour avoir envie de l’accompagner. Je suis de celles qui pleurent le soir sans épaule sur qui pleurer. Je suis de celles qu’on laisse s’esseuler quand bien même la porte est grande ouverte à celui qui aura compris qu’il était invité à entrer.

Je suis de celles qui le soir s’éteignent d’avoir trop rayonné. Je suis de celles qui s’aiment et qui voudrais qu’on l’aime autant que ce qu’elle sait s’aimer elle-même. Je suis de celles qui meurent parfois dans son coin quand vous êtes heureux, si vous êtes heureux, de pouvoir vous aimer.

Je suis de celles qui n’envient personne, mais qui rêve d’avoir sa maison dans les bras de quelqu’un pour qui elle serait la raison et la clé. Je suis de celles qui sont en paix avec elles-mêmes, mais que la peine rattrape quand le manque d’un humain se fait entendre au creux de ses matins.

Quand le café n’est jamais pour deux, quand le canapé est vide d’un amoureux, quand le lit n’est plus si chaleureux, quand les murmures ne heurtent que les murs où les échos s’accrochent à des retours silencieux. Je suis de celles dont les notifications ne sont que des codes promos pour deux pizzas achetées chez Domino’s.

Je suis de celles qui pleurent le midi, et le plus souvent à minuit, de n’être le bijou de personne, la chanson d’amour de personne, la déclaration d’amour de personne, la passion folle de personne, la prunelle des yeux de personne, l’admiration de personne, le poème de personne, la muse de personne, l’amour de personne.


Des personnes, j’en ai vues. J’ai été bousculée quelques fois. Et quand j’ai envie de dire, vous faites chier de ne pas me laisser filer droit, j’arrive quand même à vous dire merci, encore une fois.

Merci quand même pour tout ça. En passe ou passée la colère, la tristesse encore latente de la trentenaire, lassée de ne pas être de celles, je vous remercie pour les vibrations qui me font encore dire que j’ai la chance de vivre des émotions.

Certes, elles font un mal de chien et j’ai envie de vous traiter de cons. De vous dire que vous faites chier avec vos traumas pas réglés. Vous faites chier quand vous n’êtes pas prêts, mais quand même prêts à venir me déranger.

Ma solitude est solide et sereine et vous venez la bousculer comme on plonge à la manière d’une bombe dans la Seine.

Cœur aimant, ça m’explose à la figure. Cœur fragile se casse la figure. Mais, cœur vaillant remonte sur sa monture.

J’ai envie d’aimer, je ne sais juste pas qui.

Équilibrée, facile à aimer, marginale décomplexée, recherche amour doux et furieux pour qui est assez armé.

L’amour de moi, la base brute et ton étreinte comme une caresse pour finir de polir la pierre.


Y a pas d’heure pour être malheureux.

Ça va, ça vient, ça reviendra encore et toujours au détour d’un jour sans de réels adieux. Je hausse les épaules. Pars tristesse et reviens quand tu veux. Tu joues ton rôle, j’apprends aussi quand ce n’est pas de tout repos ni même drôle.

La solitude a ses facettes. Aujourd’hui, je la pleure. Vivement la prochaine fête.


La Tribu(r)ne

Par Nikkie @plaquemoisurtonmur