Qu'est-ce que je viens foutre ici ?

Autrice. Moi ?

La Tribu(r)ne
10 min ⋅ 23/08/2022

Kessel. Je ne connaissais que l’écrivain avant que l’on me demande si j’avais envie de faire partie de l’aventure sur cette nouvelle plateforme qui portait ce doux nom évocateur. Rejoindre Kessel en qualité d’autrice.

Autrice. Moi ?

Pour bien me présenter et répondre à la question du comment j’ai atterri ici (sans sucer personne, cela va sans dire, mais je préfère le préciser, on ne sait jamais), commençons par le début pour comprendre mon parcours quelque peu scabreux ancré par l’amour des mots. Ce jeu qui devient sérieux.

Au collège, j’hésitais entre les filières L et ES pour intégrer le lycée. (Désolée pour les vieux, je ne sais plus si c’est Bac A ou B, et pour les jeunes, je ne comprends plus rien à vos filières d’orientations en 12 options). Bref, j’hésitais à faire littéraire et dormir dans un carton toute ma vie ou économique et social pour obtenir un métier décent. Ma prof de français et ma mère m’ont convaincue de choisir littéraire. J’étais assez douée avec les mots. Je lisais des enquêtes sur les serial killers, les enfants violés et les bios de groupes de rock américains. Le combo parfait pour écrire de la poésie torturée. Aller chez un psy n’était pas trop la mode du moment, alors j’écrivais.

A 17 ans, j’ai publié un recueil de poèmes en autoédition. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. Encore moins quand on n’est pas Rimbaud et qu’on n’a pas son talent. Je parle déjà de publication, vous me direz alors que ce n’était pas qu’un jeu. Pourtant si. Je sais qu’être écrivain, à moins de s'appeler Marc Lévy, consiste à avoir un job à côté pour survivre, et en soi, la publication, je trouvais ça bien, l’aboutissement d’un projet, mais ce n'était pas un rêve d’enfant. A l’époque, mon rêve, c’était d’écrire des chansons pour Mylène Farmer, de porter ses bottes grises, griffées Jean Paul Gaultier, Live Bercy 96, of course, tu connais, et danser avec elle en me déhanchant sur ses chorégraphies (que je connais encore par coeur, soit dit en passant), tout en chantant “C’est sexy le ciel de Californie” dans un mini-short bien moulé sur mon fessier.

Rien de compliqué, la dernière phrase résume tout à fait ma personnalité d’aujourd’hui : être une pétasse avec de jolis mots, scandaleuse et discrète, ouais et en plus, je me la pète. J’aurais tué et tué encore ton père déjà mort pour être sur cette scène avec elle.

J’ai donc publié un recueil avec l’aide et la patience de mes parents, à l’heure où Internet me dépassait complètement, presque autant que tes 2 heures mensuelles d’abonnement.

J’ai ensuite passé un Bac littéraire, option maths (j’en cherche encore la raison) et je suis allée en fac de lettres modernes, option arts à Rouen, sans faire de prépa prestigieuse à Paris. Tout ceci me renvoyait clairement à la gueule mon statut de classe et de connaissance moyenne. Pas grave, je m’en sortirai quand même. J’aime partir de rien, il paraît que c’est comme ça qu’on donne tout.

Certes, avant, on galère quand même bien. J’ai été pionne trois ans pour boucler mes études, mes fins de mois et me rendre compte que je restais par amour des élèves plus que de l'Éducation Nationale. Donc, après ma Licence, je n’ai passé aucun concours d’enseignement. J’attendais la parole divine en moi pour me dire quoi faire. Elle s’est matérialisée par ma propre voix - c’est pour ça que je dis “divine”, ma seule croyance se tourne vers ma personne (bitch à l’ego démesuré) - qui m’a dit : “Bouge-toi le cul ma grande ! Quel est ton bagage ? Que peux-tu en faire ?” et j’ai envoyé plus de CV qu’il n’existe de MST pour devenir libraire.

Mon panel de culture G et littéraire pour exercer ce métier était à peu près aussi étendu que la grille salariale pour rémunérer ce même job est petite. Hauts les cœurs, c’est un métier de passion, pas de flouze à foison. Mais, c’est plus rentable qu’être écrivain. Ça n'en reste pas moins très mal payé à moins de grimper les échelons. Ce que j’ai fait pendant mes dix années au front d’une industrie dont le commerce est le dernier maillon.

Pendant dix ans, j’ai aussi stoppé la création personnelle. La vie ; mon cerveau s’est mis en pause. Je ne pouvais pas être à la fois libraire et autrice, selon moi. En transparence, je n’y pensais même pas. Écrire des histoires dans son coin n’est pas un métier, c’est un jeu avec soi. Et quand on a lu, qu’on conseille des auteurs, qu’on connaît la difficulté du marché pour qu’un livre trouve sa place sur des tables de librairie, on oublie. Manque de temps, de talent, de travail, de tables Ikea pour faire valoir tout ça.

Ca ne m’a pas pesé d’oublier, je me suis nourrie autrement, j’ai grandi, affiné ma pensée, développé ma pratique de vente et de négociation d’achat. “Mon Dieu, je vais devoir parler à des gens.” Première phrase de la première heure du premier jour de libraire de Nikkie qui découvre la vente. Dix ans plus tard, une parole plus affirmée, des ailes ouvertes pour voler seule, et un grand merci à ce monde de culture que je chéris.

Ah oui, au fait, Nikkie, c’est moi. Le personnage que j’ai créé il y a environ 2 ans, quand mon cerveau créatif s’est remis en marche sous cette boîte crânienne pleine de tifs. C’est mon identité sur Instagram, la meuf qui tient le compte @plaquemoisurtonmur.

Ne me demandez pas comment j’en suis arrivée là, je n’en sais foutre rien. Un jour, je me suis mise à écrire des formules types : “Je suis une pompe à trique.”, “Il m’en a mis plein les yeux et c’était pas des étoiles.” ou encore “Oui, je ris à tes blagues. Non, je ne vais pas te sucer.” ou enfin “Je suis pas vulgaire, juste vulvaire.”

Bref, beaucoup de poésie, j’avais envie de faire ma Mylène mais sans chorégraphie. En commençant cet exercice, je n’y voyais que du jeu avec la langue et les mots. Du jeu, encore du jeu. Ça m'avait manqué de jouer, je crois. Peut-être que la vie est trop courte pour ne pas faire des paris, parfois.

Je ne sais plus quel philosophe, peut-être Pascal, disait que la vie, c’était se divertir pour faire diversion de notre avenir commun : la mort. J’ai donc envie de me divertir maintenant. Écrire à la manière d’un jeu quotidien, une phrase sur un mur Instagram. Ça plaît aux gens. A l’heure actuelle, nous sommes 96 000 sur ma page. Dommage que ça ne se convertisse pas en euros ou en tickets restos.

Le plus drôle dans tout ça, c’est qu’un jour, une maison d’édition, Kiwi pour ne pas la citer, en la personne de Katia Kaloun m’a demandée de faire un livre pour expliquer toutes ces formules que j’écris. Katia, ce petit boulet de canon tout doux. Elle vous repère et pense un projet alors que vous vous demandez encore pourquoi vous avez créé une page Instagram. Elle a dix coups d’avance sur vous. Ce n’est tellement pas ma culture classique, ni dans le support, ni dans mes lectures, cette page. Je me sens comme une imposture et elle me demande d’en rajouter une couche sur 180 pages.

Elle y croit, alors je la crois.

J’ai écrit le livre pour structurer ma pensée dans des paragraphes là où je ne faisais appel qu’à un format très court, sentencieux pour m’exprimer. Exprimer l’entreligne. Un manifeste, un journal extime. Instagram, c’est le journal intime des autres que je m’amuse à explorer, à retranscrire avec mes mots. Le livre, c’était y attacher un peu de mon intime. Le grave, le sérieux sous couvert de l’humour instagrammable graveleux.

J’ai rédigé dans l’urgence, avec le poumon, l’instinct, sans formation, sans filet, juste mon cœur dans un sachet, comme des dragées sur une table d’invités. Cassez-vous les dents, c’est subtil, mais bien tassé. Par ce biais inattendu, je suis passée de la partie commerciale de la vie d’un livre à sa conception dans les coulisses d’une maison d’édition. Apprentie autrice. J’ai eu de la chance, j’ai été entourée par une graphiste, des éditrices, une directrice éditoriale, une attachée de presse qui m’ont guidée de manière incroyable. J’ai eu la liberté d’approfondir par les mots ce que je pensais de ma condition de femme, de parler des hommes, des genres et de nos places dans la société. Achetez-le si vous êtes intéressés, j’ai besoin de bouffer.

Dans ce même temps d’écriture, j’ai arrêté mon métier de libraire pour devenir rédactrice et correctrice, appris à corriger des romans, des nouvelles et des contrats de location sa mère. J’ai appris à faire presque que des choses que j’avais envie de faire. J’ai même créé des produits, des vêtements en faisant de @plaquemoisurtonmur une marque déposée. On ne s’interdit plus rien à 34 ans. On est doublement moins sérieux qu’à 17 ans. On y va avec acharnement. La vie est un souffle avant mes potentiels 68 ans.

J’ai donc recommencé à écrire, pour moi, pour d’autres (Mylène n’a pas encore fait appel à moi, mais je ne désespère pas), avec envie, follement, comme on rencontre l’amour, comme on fait l’amour, sur plein de supports (non, je ne parle pas de machine à laver, coquins), pour des particuliers et des entreprises. J’écris notamment des articles pour le site de rencontres adopte. Je m’exerce, j’apprends, je pense, j’entreprends, je crée ma chance à la sueur de mes mains moites sur un clavier bien trop cher pour ce que j’en fais.

Et comme la vie est bien faite, Instagram m’a fait rencontrer des gens. Davy Mourier en fait partie. Je le suivais avant tout parce que je le connaissais comme le créateur de la BD La Petite Mort que j’ai vendue par paquets (la BD, pas Davy). Allez savoir pourquoi, il aimait bien mon humour beauf sur les réseaux. A ceux qui ne le connaissent pas, il a créé plein de trucs marrants sur YouTube, je vous laisse y jeter un œil, je décrirais très mal son talent certain.

Après avoir participé à son émission Badnews, il a fait appel à moi pour participer à son émission Fragespiel, un jeu. Encore du jeu. Le jeu de la vie. On ne connaît pas la fin, mais le plus important reste le chemin.

Soyons d'accord, il me semble toujours aussi surréaliste de faire tout ça alors qu’à la base, j’avais juste prévu d’écrire quelques conneries sur Instagram pour rigoler.

Nous étions trois invités ce jour-là, dont le mec qui a créé les noms des Pokémon en français : Julien Bardakoff. Le lendemain de l’émission, il m’a contactée pour que je parle avec Aude Walker qui travaille pour Kessel Media. Mon profil d’autrice pouvait, à son avis, l'intéresser.

Autrice. Mais qu’est-ce qui lui a pris de dire ça ? Oui, autrice. Je suis publiée qu’il a rétorqué. C’est vrai, depuis mes 17 ans, je suis autrice. En autoédition, sur Instagram, en maison d’édition et maintenant ici, sur une autre plateforme virtuelle : Kessel.

C’est mon parcours : sinueux, vagabond, insolite, surprenant, mais c’est le mien. Et j’en suis fière. Je le construis chaque matin. J’ai envie de le construire, ici aussi. L’espoir que toute mon expérience m’a donnée, c’est que l’on peut écrire partout, chaque support est bon, être lu partout, et pas seulement dans les livres, il y a des lecteurs dans chaque horizon. Chacun à la place qu’il se donne, pas celle qu’on lui attribue. Rêvez jusqu’aux étoiles, le chemin peut être autant le parchemin que la toile pour rejoindre vos desseins. La légitimité s’acquiert par tous les moyens.

Ici, je n’ai rien de plus à conter que la vie, les choses, les gens par le biais de mon prisme, celui de Nikkie qui regarde le monde de sa meurtrière. Observer, noter, dénoter, regarder par la fente. La mienne. Vous voulez entrer et jouer avec moi ? Je vous fais ma lecture : brutale, bestiale, sans faille et tant pis pour vos draps. De toute façon, je n’aime pas la soie.

La Tribu(r)ne

Par Nikkie @plaquemoisurtonmur