Il en a vu de belles et je ne parle pas que de mes photos.


Oui, je dirais ça comme ça. Le téléphone étant devenu une extension de notre anatomie (il tient dans la main et permet aussi de poster des photos de nos fions), j’en déduis donc que lui aussi possède des émotions.
Ce matin, mon téléphone pleure pour diverses raisons. D’un point de vue global, c’est un survivant en âge de prendre sa retraite, déjà tombé dans mes toilettes, enterré deux mois dans du riz et dont la marque n’est même plus reconnue aux États-Unis pour espérer choper du Wi-Fi au-delà d’un mètre et demi d’un bar free.
Il en a vu de belles et je ne parle pas que de mes photos, et c’est clairement ma relation la plus suivie sur ces dernières années. Lui et moi, c’est contre vents et marées, en essayant de ne pas trop le mouiller quand même et en ayant toujours un chargeur sur moi pour être armée. Les batteries, c’est plus ce que c’était même si, pour dire la vérité, ça ne l’a jamais été et on parle plutôt d’obsolescence programmée.
Mais ce matin, il pleure, non pas parce que je n’ai plus accès aux derniers émojis à la mode, comme moi, il s’en cogne, mais parce qu’il a reçu un appel qui encore une fois l’a mis en rogne. Vous recevez, vous aussi, ces appels quotidiens pour vous proposer de changer de système de chauffage, d’électricité, de slip, de femme, de vie, comme si vous étiez dupe de toute cette mascarade ? Allez go, je viens de gagner 100 millions d’euros pour aller vivre aux Barbades. Non, ce n’est pas une pub, mais je vous propose quand même une prime de 2 000 euros comme vous êtes propriétaires et… Francis, je suis plus propriétaire depuis 4 ans, et c’est le 2 786ème appel. En langage commun, on appelle ça du harcèlement. Et tu te demandes pourquoi je te raccroche au nez sans aucune forme de procès ? On m’a pas élevée comme ça, mais on m’a pas élevée non plus à vouloir vendre du vent à des inconnus. C’est vrai, t’as peut-être pas choisi ton métier, t’as pris ce que tu as pu, parce qu’un mec t’a dit un jour qu’il suffisait de traverser la rue. Je t’encourage quand même à essayer de changer d’avenue.
Certes, je mets tous ces numéros malvenus dans ma liste noire qui commence dangereusement à ressembler à la liste des amendements dont « discute » le Gouvernement. Longue comme les dents de tout ce beau monde qui ne sait pas ce qu’est un dentiste quand il s’agit de blanchiment.
Bref, revenons à nos moutons et laissons le vrai troupeau. Oui, le téléphone pleure parfois, de tristesse ou de joie, selon les cas. Après tout, il vit tout car il nous suit partout. Le perdre, c’est l’équivalent de perdre toute ta vie en un instant. Il est ton cerveau, tes souvenirs, ta carte de crédit, ton réveil, ta montre (c’est bien la preuve que porter des marques de luxe, c’est juste pour bomber le buste), ton GPS, ta vie sociale, l’incarnation de ton mec, de ton amant, de ta tante Berthe, ton numéro de sécurité sociale, tes projets, la preuve en photo qu’un soir de juillet, t’étais sous les projos et que tu vivais ta meilleure life avec tous tes potos qui ne sont en fait que des michtos.
Ton téléphone sait tout de toi (comme Google, donc le monde entier soit dit en passant), ça fait peur, alors du coup, il sait même quand tu pleures. Il est là le soir avec toi, il te joue de la musique aussi et il regarde tes larmes se noyer dans tes écouteurs. Le téléphone pleure quand tu souris parce que tu reçois des nouvelles d’un ancien ami, et il rit aux larmes aussi en écoutant les vocaux de la vie trépidante de tes potes, tandis que toi aussi, tu exploses de rire en pleine rue parce que vraiment, elle est hyper marrante Shirley avec toutes ses histoires de cul.
C’est souvent ton outil de travail que ce soit pour tes mails, tes appels, ton dernier selfie de top model, ta petite rentrée d’oseille. Mais il occupe, dans le fond, un plan plus personnel. Et parfois le téléphone pleure en retombant sur des photos de vacances ou sur la photo pas nette de gens aux regards pas nets qui te manquent tant. Il te refait penser au bon vieux temps. Aussi, il pleure quand n’apparaît plus sur lui le nom de ceux qui comptaient vraiment. Qu’à cela ne tienne, que le téléphone pleure, parfois je pleurerais avec lui, mes larmes de tristesse ou de joie, mais jamais je n’oublie que je peux l’éteindre pour son repos, le mien et me contenter de ma présence à la vie. Au final, j’ai pas besoin de lui, je sais au fond de moi quand je pleure et quand je ris, et ceux que j’aime restent le cœur battant sous mon anatomie. Si un téléphone peut ne pas vibrer, votre cœur, lui, continue de marcher.